LA TÊTE DANS LES ETOILES

samedi 2 juin 2007

Texte de Michel Perret

Melun : soirée modeste

Le pont passe les voitures d’un bord à l’autre.Ca bruisse sur les pavés. Un bruit de pneus à plat. Un cyclomoteur porte-bagage ses pizzas. Au rythme des feux tricolores, le bruit. Un rythme s’impose.
Dessous le pont, l’eau glauque. Le vent la tremble en chair de poule. Elle semble couler à rebrousse lit. A peine en monte une odeur de vase, à cause de la fraîcheur. Elle s’illumine d’un soleil de ciel délavé, un soleil qui se pose, là-bas, derrière les mouettes et les arbres et les maisons dissimulées. Les péniches restent inertes, et MADON II la première ; son nom se lit derrière une vasque de fleurs : des géraniums, ou des pélargoniums corrigerait un horticulteur, peut-être.
Le bruit de roulement et l’air pas chaud qui s’infiltre par le col de ma chemise.
Le soleil met le paquet, pourtant, maintenant, sur l’eau, là. Il y balance un rai épais, en lame brûlante aux yeux et qui empêche le regard de se porter au-delà d’en contrebas, sous l’arche quasi.
Une sirène, le SMUR MELUN impose le passage dans le courant ordinaire des voitures particulières. Ils ont raté le 2O heure, les conducteurs, le JT. Ils ont faim je pense, je sens. Une moto s’arrache et file et crache tandis que la Seine, elle, s’ouvre comme une fermeture éclair devant l’étrave d’un canot à moteur rapide, venu d’on ne sait où, rapide et vite disparu sauf son sillage jusqu’à Paris là-bas, on dirait. Les promeneurs de chiens aboient et patte levée, pissent le long du parapet, enfin bon… alors qu’un roller roule sur la ligne bitumée du trottoir qui se note étoilé, parfois, tagué ciel nocturne.
Voitures encore, et odeur, et CO2, parfument Melun ville, city senteur à nos narines accoutumées d’urbains. Et le scooter grognard en rajoute, scooter avec derrière de nouveau pizza en boites attendues quelque part, ses galettes brevetées Italia vera plus coca, formule soir télé, match, j’ignore et le SMUR MELUN, ou SAMU 77, plus braillard encore.
Crash plus loin, c’est à croire… ou la crise, un drame, une attente , ils vont arriver les secours, le sang, la crise, qu’ils arrivent, vite, mon dieu, ils disent peut-être.
Allez, repartir.
De petits branchages voguent sur le fleuve, petites feuilles d’un vert clair arrachées de l’amont, silencieuses un court moment.
Repartir vers le centre plus central de cette préfecture de soirée modeste.



C’est un peu mort, la place. Oui, un peu.
Le jet d’eau presque seul, à part ce couple peu frileux à la terrasse d’un restau, trace son calligramme dans l’air du soir.
Deux, trois, quatre restaurants dans ce triangle isocèle, et deux agences d’intérim.
Dans la bouche me reste le goût du sandwich au fromage mangé face à un genre de restau aussi au nom d’ « Atelier des saveurs » ; lettres d’or sur fond noir sur l’auvent : mortuaire. « Atelier et cours de cuisine » se lit en-dessous.
Le jet d’eau clapote ennuyé.
Pas de voitures, ici, circulant pour mieux dire. Elles reposent en paix, ici, assagies. Au volant de l’une d’elles, un homme lit, il semble.
Norah Jones chantonne suavement à la terrasse du restaurant comprenant un couple à sa terrasse.
Deux couples vont bientôt se croiser en contrebas de la fontaine, plus loin, sous les arbres bicolores. Ils inspectent les menus affichés en façade.
Un roller gamin troue le calme avec superbe saut de trois marches de granit gris, bon rétablissement au sol et glissement jusqu’à la vasque de la fontaine où un copain à ballon framboise lui lance, on comprend pour le moins « … des chaussettes de roller ». Ca doit exister, sans doute, faut croire.
Des pigeons volent avant d’atterrir à des miettes supposées. Et puis tiens, des hirondelles , ou des martinets (mais le mot est moins joli, de mauvais aloi).Elles étaient absentes aux jours chauds d’avril et les voilà qui strient l’azur bleu frais de ce soir. Jamais trop tard pour apparaître, l’hirondelle.
Voisine de « L’atelier des saveurs », la boutique « L’art du tapis ». On ne se croira pas dans la parisienne rue d’Amsterdam côté gare Saint-Lazare, encore moins au sein du grand bazar d’Istanbul ou devant quelque échoppe d’Ispahan mais plutôt devant la pâle reproduction d’un Dali à deviner derrière la grille de devanture deux tapis mollement étalés sur deux chevalets. Indéchiffrables les figures de ces tapis, trop à distance, et dans une vitrine obscure de surcroît.
Norah Jones susurre sans se lasser pour la terrasse au couple insensible au froid.
Un courant d’air apporte puis remporte des odeurs d’une cuisine aux fonds de sauce puissants.
Et les rebonds de la balle qui va et vient sous le pied des gosses et rebondit au hasard et frappe la carrosserie d’une voiture. C’est un peu de vie, une lutte contre l’alanguissement de ce lieu, et un peu de vie encore qu’apportent les clop clop sur les pavés d’une poussette conduite par une mère résolue à mener à bien son retour au foyer.
Allez. Repartir vers un autre lieu, s’égarer encore un peu, voir ailleurs.



Un jardin public, derrière la mairie vraisemblablement. Plus tout à fait le calme de la placette heureusement animée au final par footballeurs et rollers et poussettes. Des moteurs en arrière fond. Sporadique. Plus que tout se détachent en solistes des oiseaux invisibles avec, en basse continue, le roucoulement sans fin de tourterelles. Les arbres les dissimulent, ces oiseaux. Une cloche frappe les neuf coups de 21 heures. Le film, le match, le téléfilm, ça a commencé. D’où, conséquence, peu de monde. Des jeunes, des couples, des tranquilles pas stress.
Les volatiles s’interpellent tandis que des chiens sans laisse ne se lassent pas des gazons verts. L’air frais saisit le cou.
L’odeur d’herbe frôle les narines. C’est comme une pseudo campagne.
Et au-dessus, l’avion qui glisse lentement ses tôles parmi les nuages lumineux encore, glissement au son de scie musicale, presque.
Les arbres hauts s’élancent jusqu’aux hirondelles. Ils portent des fleurs blanches. C’est ça qui doit sentir comme ça, l’eau de toilette matinale.
Là-bas, sur un banc, un gars et une fille tachent de jaune et de noir un décor de branchages et de grilles.
Mais c’est décidément le rendez-vous des oiseaux, hors les amoureux, et hors les chiens pour lesquels est prévu bien visible un distributeur Toutounet apposé à côté des toilettes. Toilettes publiques, comme le jardin.
Des drapeaux – allemand, espagnol - pendouillent – français, anglais on dirait - en haut de mats blancs – portugais, qui sait. C’est l’Europe en province. C’est la paix de l’Europe, la paix d’un parc, la paix d’une soirée dans un parc.
Pas parlé de l’homme nu, de l’enfant nu monté à cru, à poil, sur un cheval cabré. Ils sont de bronze.
J’ai froid.


Michel Perret

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