LA TÊTE DANS LES ETOILES

samedi 2 juin 2007

Texte de Gérard Douce

Formule 1


Vendredi 1er juin 2007, 20h30. Place Saint-Jean. Je suis assis à la terrasse du Francilien avec d’ autres participants à la séance d’écriture et Régine Detambel. Devant moi, la longue ligne droite du boulevard Gambetta. Par l’effet de la perspective, la plage des tables et des chaises semble déborder sur la chaussée, et les voiture tourner au dernier moment, comme dans un passage en chicane, pour s’engager sur la place. Elles arrivent par vagues impétueuses, libérées par le feu tricolore du quai Alsace- Lorraine. Aux avant-postes, devant ma feuille blanche, je me fais des frayeurs de formule 1.

A tout instant mon stylo frôle le dérapage, je ne sais quelle direction choisir. Je vais d’un côté, fais marche arrière, bifurque et repars dans un autre itinéraire. Je n’ai pas de temps à perdre : « Retour à l’Astrolabe à 21h45, dernier carat », a dit Régine.

Tout là-bas, le pont qui se relève et s’incurve légèrement sur la gauche, et juste avant, un pan de la toiture de l’église Notre-Dame.

Utrillo trouverait-il aujourd’hui un endroit suffisamment calme et bien situé pour implanter son chevalet et peindre l’église blanche ?

Derrière moi, les clapotis de la fontaine, mêlés aux vrombissements des moteurs. Par moments, des blancs à prix d’or s’intercalent dans le flux de la circulation, comme des parcelles d’un temps révolu, et je goûte avec ravissement la pure musique de l’eau.

L’air est frais, je lâche le stylo et enfile mon K-way. J’ai l’impression d’être place Saint-Jean, incognito. Ecrire en ville sur la ville, c’est un peu comme être en planque, attendre l’insolite, le bizarre, le suspect.

Devant le Francilien, un homme, teint basané, regard noir, déboule avec un paquet de roses sur le bras : un vendeur à la sauvette. Je croise son regard. En un éclair, ses yeux se portent sur mes collègues écrivaines et reviennent sur moi. Il a flairé en moi un potentiel pigeon. Mais, il voit que je suis pressé , les yeux rivés sur mes notes, et que je ne suis pas là pour conter fleurette ; alors, il cherche ailleurs un autre volatile.

Confluence de l’avenue Paul Doumer et de la rue piétonne, tourbillon de courants contraires, les voitures marquent le pas, deux enfant en patinette traversent en zigzaguant, vêtus à l’identique, casque, combinaison, l’un tout en rouge, l’autre tout en bleu.

Panne sèche…

Bruit de pas… redémarrage… Femme brune. Je cherche en vain le feston et l’ourlet. Celle-ci, balance en cadence les pans de sa tunique fleurie, blanc et bleu.

Musique des femmes : leurs talons sonores.

Virage à 180°, à cause de la queue de cheval de la femme, sans doute : je file en un éclair à Paris; du côté de la place de la place de la Concorde, où je vois défiler la Garde républicaine.

Retour à Melun. Un passant semble surpris de nous voir écrire comme des écoliers. Il doit penser que nous participons à un cours du soir pour adulte, une sorte de cours de rattrapage. Je lis dans son sourire une pointe de commisération. Sans doute, doit-il penser qu’il est grand temps pour moi de me remettre à niveau, si je veux rester dans la course.

L’homme ne cesse d’interpréter les signes, dit Alain.

21h. Incursion à l’intérieur du Francilien pour faire le plein : « Un café bien serré, s’il vous plaît. ». Brouhaha des consommateurs et des parieurs. Télé à fond sur le match de foot France – Ukraine. Impossible de saisir la moindre brève de comptoir, sauf à crier : « Chut ! parlez pas tous ensemble » Alors, je relis mon carnet de bord depuis le départ de l’embarcadère jusqu’à la place Saint-Jean.

Tour de la Cité administrative : velléité de Manhattan bord de Seine. Pointe de l’île : aiguisage des confluences, air du large, redondance des lignes. Place Praslin : temps suspendu aux aiguilles de la pendule de l’ancienne poste. Pont Jeanne d’Arc : ready-made de berge : banc, plastique, bouteille – Quai Pasteur : enseigne Nexity : What is it ? Rue piétonne : fille en short et bottes mousquetaire : de quoi donner des idées aux plumes taries. Trois boutiques : Naissance, Mariage, Pompes funèbres générales, séparées de quelques dizaines de mètres : « On pense à vous, groupez vos achats ! »

21h30. Rue piétonne parcourue à grande vitesse. A nouveau, mais en sens inverse, la fille de tout à l’heure, en short et bottes mousquetaire. Pas le temps de lui faire : « Coucou, encore moi ». Je fonce vers l’arrivée.

21h45. Rue du Château, afflux de stylos. Sprint final. Le grand prix est terminé.

22h. Astrolabe. Salle des archives. Feux de la rampe. Pénombre de la salle. Débriefing après course. Comme un champion qui n’arrête pas brutalement son effort, mon stylo continue à carburer.

Gérard Douce

2 commentaires:

Unknown a dit…

De Mr Gérard Douce Christine et Véronique ? :)

Unknown a dit…

Oui