Ce long ruban de crasse qui coupe la ville en deux. Les humains lèguent aux humains leurs feuilles de routes personnelles et impersonnelles. Ne dit-on pas que la littérature permet de connaître des gens que l’on ne rencontrera jamais ? Il en va de même pour ce pont de bitume enjambant la Seine, fleuve, qui d’ailleurs coupe elle-même la ville en deux. Intéressant. L’homme va tout droit et la nature suit son cours. Probablement une question de perspective.
Quelle tache ce pont, quand même. Et je n’évoque pas l’église et la grue. Ils ne vont pas les démolir pour ma pomme. Sans compter les arbres qui longent la route. Non pas que je veuille les couper, j’adore les arbres, les meilleurs amis de l’homme après les mouches, mais il existe bien mieux pour insinuer une vie sur les trottoirs. Les arbres, je les réserverais aux bords de la Seine. Et au lieu de dissimuler les édifices humains immondes et dégueulasses, car ici c’est bien le but de ces arbres, je les rendrai davantage attrayants en les embellissant de vie humaine.
Comment ? me demanderez-vous. Eh bien, ma foi, au lieu de baisser la tête pour ne pas remarquer les murs squameux, les volets branlants ou les rideaux des années trente, j’inviterai à la lever afin que soudain vous vous aperceviez qu’un café littéraire vient d’ouvrir de ce côté de la rue, que tout à coup, un poète déclame à l’improviste à propos de l’effervescence des bulles de gaz dans le demi, ou alors que là-bas deux membre d‘une famille se rencontrent avec force embrassade et s’invitent à rester bavarder autour d’un verre. Et pourquoi pas, soyons fou, un tramway bringuebalant sur ses rails et nous saluant d’un son de cloche.
Mais… non. Tout ce passage, je l’ai fantasmé, et agrémenté de quelques clichés. Je devrais me présenter aux municipales.
Ce que j’ai vu, c’est bien autre chose. Ce fut un drapeau tricolore planté sur un balcon, peut-être une relique de la campagne présidentielle ; ce fut une fille me jetant un regard dédaigneux alors que je composais modestement sur un banc ; ce fut des légions de cabines hermétiques à quatre roues, dont parfois un de leurs chauffeurs utilisant un portable pour communiquer avec l’extérieur.
Un couple enlacé débouche à l’angle de la rue, se promenant , et l’homme tient une petite caméra pour se filmer ensemble afin, j’imagine, d’immortaliser un souvenir d ce moment heureux. Usons de la vidéo pour conserver nos instants de parfait amour. De la mémoire artificielle pour sauvegarder nos sentiments. L’écrit a bien tué la tradition orale de mémoire, pourquoi la technologie n’assassinerait-elle pas les émotions ?
Malgré tout, il y avait des gens. C’est mieux que rien. Et des couples, ça promet. Des pigeons aussi. De la vie humaine en quelque sorte. Traitez-moi de cynique si vous le souhaitez.
Yohann Hénaff
LA TÊTE DANS LES ETOILES
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